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De l’intérêt de créer des jeux vidéo en médiathèque

La présence, encore balbutiante, du jeu vidéo en médiathèque est essentiellement envisagée comme un service donnant accès à des consoles en consultation sur place ou dans le cadre d’animations. Elle se traduit aussi par son intégration aux collections en tant que nouveau support bien que l’accès au prêt pour la plupart des titres consoles soit problématique : il faut en effet, à quelques exceptions près, négocier ce droit auprès de chaque éditeur.

Ce média, en quête de légitimité, ne manque pas d’atout ainsi qu’en témoigne Céline MENEGHIN dans son mémoire « Des jeux vidéo à la bibliothèque ».

Trois arguments en faveur du jeu vidéo en médiathèque font désormais consensus :

– le jeu vidéo est un produit culturel à part entière
– le jeu vidéo est un vecteur de modernité indéniable pour les bibliothèques.
– les bibliothèques ne sont pas dédiées au livre uniquement, elles ont toujours évolué.

J’aimerai démontrer que les médiathèques ont tout intérêt à développer des actions qui abordent le jeu vidéo sous l’angle de sa conception tant cette médiation recèle d’opportunités pour elles et pour le public.

Un univers culturel à appréhender

Afin de mettre à mal quelques préjugés qui parfois subsistent, je trouve intéressant de rappeler que le premier produit culturel mondial en terme de poids financier est le jeu vidéo (et pas le cinéma), que la moyenne d’âge des joueurs a dépassé la trentaine et qu’au moins un joueur sur trois est une joueuse. A ce propos, je vous invite à lire le livre blanc du SNJV qui fait la synthèse des éléments clés du jeu vidéo en France.

Considérant que le jeu vidéo est une nouvelle forme d’expression, de création et de culture, certains titres se voient qualifier d’œuvres et dépassent parfois le cadre du divertissement. Le jeu vidéo est ainsi entré au musée, on lui consacre des expositions, des colloques, des mémoires…il a gagné en respectabilité. Pour autant, sa légitimité au sein des médiathèques est encore fragile.  En cause notamment, son image de loisir abrutissant malheureusement souvent justifié si l’on s’en tient aux ténors surmédiatisés de cette industrie dont certains lui reprochent d’avoir perdu son âme dans une course à la surenchère technique au détriment de l’expérience de jeu. Il en va ainsi de ces licences reposant invariablement sur les mêmes types de gameplay à l’image de nombre de FPS (jeu de tir à la première personne).  Si j’exagère un peu le trait pour la démonstration, (certaines  productions « triple A » sont heureusement dignes d’intérêt), force est de reconnaître que le débat blockbusters contre scène indé n’est pas près de se tarir.

Des pistes d’accompagnement

  • Une piste, déjà empruntée par certaines animations/expo autour du rétro-gaming, consisterait à mettre un coup de projecteur sur les premières génération de développeurs, ces pionniers, qui malgré les contraintes techniques de l’époque (ou grâce à elles) ont inventé des gameplay, des références et dont la simple évocation suscite une nostalgie souvent légitime…
  • Deuxième piste, peut-être faut-il mettre l’accent sur ces jeux qualifiés d’œuvres ou en tous cas sur ceux qui, à la manière du cinéma indépendant, prennent des risques, font preuve d’inventivité.

Pour en revenir à la création, il se trouve justement qu’il est rigoureusement impossible pour un atelier de création en médiathèque de rivaliser avec des hits aux coûts de production équivalents à celui d’un film d’action…au contraire ce type d’atelier permet typiquement de s’approcher des contraintes de ces petites équipes travaillant sur un mode artisanal, qui, avant les années 90, ont inventé de nouvelles manières de jouer.
Plus proche de la seconde piste évoquée plus haut, on peut aussi envisager l’atelier comme un moyen de se mesurer aux gameplay de ces jeux que l’on trouvent sur nos tablettes et téléphones mobiles, ou plus humblement, de tenter d’en comprendre les mécanismes. Ces jeux en exploitant les possibilités du tactile ont ouvert la voie à de nouvelle manière de jouer. La solution de développement que j’ai retenu, et que je détaillerai dans un prochain article, permet justement une publication sur plateformes mobile IOS et Android (moyennant un surcoût). Ainsi que le souligne Erwan Cario, dans Start ! La grande histoire des jeux vidéo, le retour aux sources initié par la scène indépendante témoigne du potentiel ludique de la 2D dont certains aspects sont encore à découvrir.
De nombreux jeux issus de la scène indé et/ou disponibles en ligne (Flash, Html5…) sont aussi concernés par cette piste. Ainsi ces petits jeux souvent en 2D et réalisés dans des conditions proches de celles des pionniers (petite équipe et coût de production réduit) font souffler un vent de fraîcheur sur l’industrie vidéoludique. Le modèle de l’autoédition est de plus en plus pris au sérieux par les consoliers, tellement au sérieux que le terme « indé » est aujourd’hui souvent galvaudé…

La démarche qui consiste à montrer l’existence de structures permettant aux petits studios de s’exprimer (Steam, les services comme le XboxLive Arcade en son temps, les jeux en ligne, les plateformes mobiles…) est, d’ailleurs, de mon point de vue, une des plus pertinentes pour un dispositif de médiation vidéoludique.

Se positionner comme référent

Le grand public n’a pas forcément conscience de ces enjeux qui traversent la culture et son économie. Le bibliothécaire/animateur multimédia, aurait un rôle à jouer en proposant son expertise, en se positionnant comme référent d’une culture numérique dont il détiendrait les clés (Enjeux juridiques, culturels, économiques, de patrimoine, …) nécessaires à une meilleur compréhension.
Le désir légitime qu’ont les bibliothécaires de maintenir la richesse culturelle, en soutenant notamment la diversité éditoriale (valoriser les libraires et éditeurs indépendants) trouve ici une application digne de notre siècle ludique : maintenir un contrepoids à l’ultra visibilité de produits culturels mis en avant par une poignée de grands groupes dont la concentration s’accentue.

De plus, si l’on considère (de manière un peu schématique) que ce sont les petits éditeurs qui ont les politiques éditoriales les plus innovantes et audacieuses, (tandis que les grands groupes publient des livres standardisés répondant à la demande du public) soutenir la diversité revient à préserver une production éditoriale de qualité. Tous les secteurs de la culture sont concernés par ce phénomène et le jeu vidéo n’y échappe pas. Lors de mes ateliers, j’utilise plutôt l’industrie cinématographique comme point de comparaison…les enjeux financiers et les moyens pour faire aboutir une « grosse production »  demeurent comparables (266 millions de dollars pour le dernier GTA).
Pour Eric Zimmerman, « dans le Siècle ludique, être vraiment alphabétisé, c’est aussi maîtriser le langage des jeux ».
Ainsi, de la même manière que les ateliers de cinéma représentent une opportunité précieuse pour l’éducation à l’image et aux médias, les ateliers de création vidéoludiques permettent d’appréhender cet univers culturel, champ de la culture humaine, de mieux en saisir la richesse, ses codes et de prendre de la distance avec sa propre pratique de jeu.
Aborder ce média sous l’angle de sa conception est nécessairement enrichissant. C’est envoyer un message positif (vous avez toujours rêver de devenir Gamedesigner ? Maintenant, lancez-vous !) à l’opposé du discours, encore dominant, qui tente de le réduire aux questions de l’addiction ou de la violence. C’est finalement transposer l’expertise du bibliothécaire traditionnel aux médias numériques,  en  positionnant la médiathèque comme une ressource potentielle.

Un nouveau défi, vecteur de modernité

Le jeu vidéo est évidemment un vecteur de modernité pour les bibliothèques. Ainsi que je le détaillerai dans un article plus pratique qui traitera du choix de la plateforme de développement, les exemples d’ateliers de création vidéoludique pour des non programmeurs sont plutôt rares même si la tendance est à la hausse.  Il s’agit bien d’un projet novateur, voir expérimental, à même de valoriser l’image d’une médiathèque.

Ce projet ambitieux, qui exige l’implication forte d’au moins un animateur, est à la mesure du défi auquel doivent faire face les médiathèques : s’adapter aux nouveaux usages culturels, en particulier ceux des digital natives. L’étude de Sylvie Octobre « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ? », pointait déjà ce problème et appelait, notamment les médiathèques, « à revisiter leur modèle de médiation pour l’adapter aux jeunes générations, afin de favoriser l’émergence d’une culture de demain et pour permettre la transmission d’un patrimoine culturel, lui-même en voie de redéfinition. » Mettre en place de nouvelles médiations numériques notamment celles qui placent le public comme acteur, producteur de contenu, tend à améliorer la crédibilité de l’institution vis à vis des cultures numériques.

Le projet de valorisation des jeux vidéo n’est pas simple mais son champ d’exploration est immense et les opportunités de médiations précieuses.

Des vertus manifestes

L’intérêt de proposer ce type de médiation réside finalement dans ses potentialités intrinsèques. Ainsi, on peut noter que la création de jeu coïncide avec au moins trois des missions fondamentales, à l’accomplissement desquelles doit tendre la bibliothèque publique, dictées par le Manifeste de l’IFLA\Unesco :

  • favoriser l’épanouissement créatif de la personnalité;
  • stimuler l’imagination et la créativité des enfants et des jeunes;
  • contribuer à faire connaître le patrimoine culturel et apprécier les arts, le progrès scientifique et l’innovation;

La mise au point d’un jeu vidéo mobilise des compétences technologiques mais aussi artistiques (graphisme, scénario) à même de développer les capacités d’expression.

De plus, la perspective de créer son propre jeu suscite une motivation spontanée propice à développer des savoirs et compétences a priori éloignées d’un public sans expérience en programmation. L’expression « Apprendre en s’amusant » est ici tout à fait appropriée !

Les nombreux problèmes soulevés par la mise en place des mécaniques de jeu vont faire appel à de la logique, à des compétences d’ordre mathématiques mais leurs fondements pratiques et leurs desseins ludiques, immédiatement identifiables et intelligibles, hâteront leurs résolutions. Ainsi, la conception d’un jeu vidéo permet de développer les capacités d’analyse, d’observation et d’organisation.

Une plus grande autonomie, une plus grande confiance en soi, une meilleure socialisation…les vertus désormais attribuées à la pratique des jeux prennent, lors d’ateliers de conception en groupe une dimension plus évidente.

Richesse des perspectives

Enfin, un atelier de création est évidemment l’occasion de sensibiliser aux nombreux métiers qui gravitent autour de ce média (Auteur-scénariste multimédia, Game Designer, Level Designer, Infographiste, Animateur, Programmeur, Sound Designer / compositeur…) et d’en saisir toute la complexité. A ce propos, au début de chacun de mes ateliers, j’essaie de jauger le niveau d’ « innocence» de mes stagiaires par des questions simples : Quels types de jeu aimeriez-vous réaliser et quels types de jeu pensez-vous que l’on va réaliser lors de ces quelques séances ?

A la fin de l’atelier, après avoir conçus, parfois, pixel par pixel, un personnage, après s’être froissé les neurones pour concevoir la mécanique du jeu, ils sont fiers de leur oeuvre mais surtout, en saisissant « de l’intérieur » les savoir-faire nécessaires à l’élaboration de ce média interactif, ils en retirent une compréhension renouvelée. L’un des mérites de ce type de projet réside ainsi dans sa capacité a modifier la dimension passive de notre rapport à la culture, principalement basé sur la consommation.

D’autre part, l’atelier de création offre un terrain idéal pour aborder les caractéristiques et enjeux liés à cet univers : modèle économique et marketing, phénomène des jeux indépendant, jeux en ligne, casual gaming, social gaming, rétro-gaming et patrimoine vidéoludique… Ce dernier point me semple particulièrement intéressant à développer à la fois parce que ce type d’atelier se prête à la reproduction de jeu simple mais aussi de part les opportunités pédagogiques qu’il recèle. En effet l’industrie vidéoludique en renouvelant sans cesse ses outils et ses méthodes rend plus complexe toute tentative de synthèse, de théorisation… Pourtant, je fais l’hypothèse qu’observer l’histoire, la playhistoire (merci Florent Gorges) fournit des grilles d’analyse, une typologie des gameplay et permet de mieux en comprendre les évolutions.

Autre intérêt pour ce type d’atelier : permettre à un retrogamer (entendez ici simplement une personne ayant joué aux premières générations de jeux électroniques) de concevoir un retrogame avec les outils d’aujourd’hui (graphisme et son amélioré et liberté de programmation permettant tous les détournements imaginables). A ce propos, l’un des objectifs de mon prochain atelier est d’aboutir à un jeu multi-joueur (deux manettes ou plus sur un poste) ou à défaut qui permettra de se défier par un système de score mémorisable. On peut donc rêver à des tournois faisant se rencontrer différentes générations de joueur (parent/enfant, retro/néogamer…) sur des jeux « fait maison ».

Cet article esquisse des pistes concernant la pertinence et les implications possibles d’une médiation qui donnerait accès à la création vidéoludique et n’aborde pas les potentialités du serious game comme outil de pédagogie ou de valorisation en médiathèque. Cependant, j’envisage d’en faire l’objet d’un article, en me basant notamment sur les expériences que j’ai accumulé lors de la création de trois « jeux utiles ».
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